La voix infatigable d’un peuple et de sa mémoire

Article paru à Moroni sur le profil facebook d’Ahmed Ali Amir, vendredi 16 août 2025, et dans le journal La Gazette des Comores (n° 4937) du lundi 18 août 2025, rendant hommage à Soeuf Elbadawi, artiste et auteur.

Soeuf Elbadawi est de ces hommes rares qui refusent de cloisonner leur art dans un seul genre. Artiste de théâtre, de danse et de chants, il est aussi un grand écrivain et un journaliste polyvalent, habité par une passion inébranlable pour la culture et par une lucidité sans complaisance sur les réalités de notre société. Ses mots, comme ses gestes sur scène, respirent l’engagement. Ils embrassent la beauté des traditions et affrontent les brûlures du présent.

Car s’il chérit la culture par-dessus tout, il sait aussi que l’art ne vaut que s’il ose. Et Soeuf Elbadawi ose. Il affronte les sujets sensibles, les blessures à vif, avec hauteur et intelligence. Il donne voix à ceux que la mer a engloutis entre Mayotte occupée et les autres îles de l’archipel. Il transforme leur absence en présence par des prières Dhikri, des invocations poétiques, des hommages qui entretiennent le flambeau de la liberté et de la souveraineté.

À Haïti devant un public étudiant pour Un dhikri pour nos morts, au Muzdalifa House à Moroni en pleine représentation, à Ntsudjini pour un atelier théâtre avec le scout Ngome, à Uzerche pour Le blues des sourds-muets avec Mwezi WaQ., à Mirontsy aux côtés du Club Soirhane.

Figure d’intégrité et de droiture, il incarne la constance et l’intransigeance sur les principes. Aucun avantage, si séduisant soit-il, n’a jamais entamé sa fidélité à ses convictions. Chaque fois que l’intégrité de la Nation a été menacée, il s’est dressé avec force, proclamant que la dignité nationale ne saurait se monnayer. Cette détermination sans faille lui valut d’être placé sur liste noire par l’ambassade de France à Moroni et d’être écarté des réseaux culturels francophones pendant près d’une décennie, épreuve qu’il a traversée avec la même dignité et la même force morale qui l’ont toujours guidé.

Son dernier ouvrage, paru en avril 2025 sous le titre volontairement provocateur Je suis blanc et je vous merde, déjà porté sur scène par l’auteur en 2024, livre une réflexion satirique et percutante sur les questions d’identité, de race et de privilège, dans une posture résolument contestataire et engagée, profondément ancrée dans le contexte culturel comorien et francophone.

Avec Hassane Kouyate, directeur du festival des Zébrures à Limoges en 2024, dans Je suis blanc et je vous merde, son dernier spectacle, avec Philippe Richard, à Uzerche (Corrèze) en septembre 2024, lors d’un atelier avec des jeunes étudiants de l’Université des Comores au Select à Moroni en 2023, et à l’occasion de la Deberlinisation à Berlin en avril 2025.

Courageux et audacieux, il parcourt les scènes du monde pour parler de son pays et de son peuple, pour rappeler que la question de Mayotte n’est pas une relique du passé mais une lutte vivante. Son combat, infatigable, ne se mesure pas en discours mais en empreintes : des consciences éveillées, des colères apaisées par la dignité, des rêves ravivés. Sa dignité, justement, n’est pas une posture : elle est l’expression même de sa combativité.

Aujourd’hui, alors que d’autres choisissent l’oubli, Soeuf Elbadawi continue de porter haut la mémoire, l’honneur et l’identité comorienne. La République se grandirait à lui décerner ses plus hautes distinctions. Car honorer Soeuf Elbadawi, c’est honorer la culture comme arme pacifique, la vérité comme héritage et la liberté comme horizon.

Dans Zanatany l’empreinte des linceuls esseulés de Hachimiya Ahamada sur les massacres de Comoriens en 1976, où il tient le rôle principal, à Majunga avec la diaspora étudiante en 2024, à Ntsaweni pour un chantier avec des jeunes scolaires en 2023, à Rabat invité par les étudiants comoriens, il y a deux ans.

Il est temps que les médailles de la Nation ornent la poitrine de cet homme qui, par ses mots, ses pas et ses chants, aura su faire vivre notre histoire et notre espérance.

Ahmed Ali Amir (3A)/ La Gazette des Comores

À la Une, sur la scène du Tarmac pour Un dhikri pour nos morts.

Je suis blanc et je vous merde de Soeuf Elbadawi est disponible aux éditions Passage(s).

Laisser un commentaire