La question qui fâche

Elle concerne les publics. La majeure partie des acteurs impliqués sur la scène comorienne travaillent à inscrire leurs contenus dans des circuits de diffusion à l’étranger. Un travail délicat, à la fois lent et difficile, mais nécessaire dans cet archipel aux histoires si peu connues. Un travail qui souffre sensiblement du manque de personnes-ressources, formées pour le mener à bien. L’impression que le pays manque des outils nécessaires à son re-positionnement dans le big trafic des imaginaires. Ce débat est cependant en train de prendre dans la capitale comorienne depuis l’avènement du Covid-19. Beaucoup, parmi les créateurs établis, espèrent un soutien de la part des autorités pour esquisser un nouvel âge culturel.

Tout en contribuant à ce débat à sa manière, Washko Ink. se pose la fameuse question des publics. Peut-on et doit-on exister culturellement, en ignorant les siens ? N’est-il pas plus simple de répondre à une demande extérieure plus organisée, comparée aux situations d’un pays en crise comme celui des Comores? Faut-il s’imaginer un public de raison (environnement éloigné) et un public de coeur (environnement immédiat) au nom de sa survie économique ? La sincérité n’exige-t-elle pas d’oeuvrer dans un seul et même objectif envers tous publics, malgré les échelles de moyens et les différences culturelles, d’une rive à l’autre ? La culture aux Comores n’a longtemps répondu qu’à la nécessité citoyenne de fabriquer des communs. Un principe valable, bien au-delà des frontières comoriennes. Ces enjeux travaillent en tous cas Washko Ink. depuis les débuts de son histoire. Car ses équipes pensent qu’on ne peut dépendre d’un écosystème uniquement tourné vers l’extérieur du lieu d’émergence. Ce qui est le cas, pour les acteurs culturels comoriens les plus en vue, aujourd’hui. Washko Ink. pense aussi qu’on ne peut tisser sa réalité-monde, en se recroquevillant sur soi-même. Ce qui serait synonyme de repli.

De gauche à droite/ de haut en bas : Soeuf Elbadawi dans un foyer culturel à Fumbuni. La compagnie O Mcezo* en performance sur la place Mroni à Mutsamudu. Le public sur la place du Baïdi dans la médina à Moroni lors du Badja Place avec le Suisse Jérôme Richer. Une exposition sur la littérature comorienne dans une cour d’école à Mitsudje. Une affiche de La fanfare des fous à Ouani. Un public d’enfants sur la place Badjanani, lors d’un échange avec la compagnie réunionnaise Ibai. La photo a été prise lors d’une performance à Hasendje.

Pris largement, l’ancrage au lieu a forcément son importance dans la maturation des contenus développés par chacun des acteurs impliqués. Car le lieu représente la possibilité d’un dialogue tenu avec ceux qui nourrissent les récits en amont. Il est synonyme d’une économie possible, locale, solidaire et souveraine, non réduite, surtout, aux lois de la mendicité politique et aux règles discutables du soft power. Il autorise à exister, par-delà les crispations et les crises, les frustrations et les limites, générées par le capital dominant. Mais cela suppose une action culturelle pérenne sur le terrain, où chaque acteur impliqué dans cet espace (ou dans d’autres où la structure se pense sollicitée) apporterait sa pierre à l’érection de nouveaux publics, susceptibles de saisir la complexité des enjeux liés à la culture, de nos jours.

C’est l’une des raisons pour lesquelles Washko Ink. parcourt les villes et les villages (ailleurs que dans ce pays, elle le fait aussi, souvent), en y défendant le discours d’une culture citoyenne ancrée au lieu. En pédagogues improvisés (les valeurs et les principes ne s’attrapent pas qu’à l’école), ses équipes agitent leurs rêves dans les cités traversées, en guettant le souffle du peuple en gestation. Car les publics ne sont pas que des armées de consommateurs. Elles figurent aussi une humanité en devenir. Actions dans les écoles, ateliers, conférences, expositions, performances ou encore spectacles. Tout est prétexte à faire avancer le débat. Et comme pour une école des spectateurs dont le rôle serait de faire advenir le public de demain, Washko Ink. mise sur l’idéal d’une culture rendue nécessaire par le vivre-ensemble.

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