Tahaba la mdzade…

Des lampes à pétrole, quelques ampoules à filaments, de la sciure de bois par terre. La scénographie est simple. Un théâtre sur mesure. Avec des rondins pour sièges. Il y en a 40 en tout. C’est ici que se joue Un poème sur ma mère une rose entre les dents de Soeuf Elbadawi (Komedit).

Dans une traduction signée par le poète Anssoufouddine Mohamed et les enfants du Club Soirhane. Une petite forme pour un public accueilli comme  pour une veillée. 37 personnes assises sur les rondins de bois. Trente sept personnes à qui trois jeunes filles relatent l’amour qu’elles ont pour leur m ère disparue. Une sorte d’hommage à titre posthume. Les Comoriens présents reconnaissent la forme empruntée à la tradition. Celle d’une cérémonie du deuil qu’on connaît de hitima, qu’on organise à la suite des enterrements. Pour accompagner la ou les disparus.

Il y a un an la troupe en plein travail.

Les trois comédiennes officient à même le public. Elles l’accueillent dans leur intimité. Servent le café. Tissent le récit de leur défunte mère, fragment après fragment, bribe par bribe. Elles ont le souvenir espiègle. Ont le sourire des jours de vie heureuse. Enfouissent leur langue dans la mémoire d’une mère au destin unique. A la générosité sans égal. Elles traversent la médina de ses aïeux d’un pas épique, ralliant les prières des uns pour la disparue à l’espérance nourrie des autres au cœur des vieilles légendes. Elles évoquent l’autre monde, celui des rituels et des possessions, celui des djinns et des trumba. S’arrêtent sur l’héritage confrérique de cette mère, immense, certain. Trois bâtons d’encens exhalent leur parfum derrière elles.

Lorsque ce travail a commencé, il y avait presque tout le club Soirhane en lecture. En atelier, on y apprenait alors un théâtre d’expression corporelle. Des techniques de diction, de gestion du souffle, des histoires de corps en éveil. Non pas pour être comédien, mais peut-être pour se sentir vivre au devant des autres. Puis le travail a évolué vers la représentation du texte ainsi traduit. Avec des bouleversements certains, liés au départ du Club, de l’île ou du pays de certains des interprètes. D’une vingtaine de personnes, la distribution est peu à peu passée à douze, puis à six, puis à quatre, puis à trois fabuleuses interprètes : Asma Abdallah Houmadi, Aicham Ahamada et Chaima Rabezafy Anssoufouddine.

En décembre 2019, lors du Fuka Fest. Ils étaient plusieurs à porter le texte. C’était au tout début du travail au plateau.

Sans doute qu’il y aurait beaucoup à dire sur cette petite forme (50 mn, à peine), proposée par Soeuf Elbadawi (BillKiss* I O Mcezo*) et les enfants du Club Soirhani de Mirontsy. Cela fait quelques années qu’ils y travaillent avec des rendez-vous espacés dans le temps. Il y a eu la traduction du texte par Anssoufouddine Mohamed et ces jeunes. La surprise de l’auteur de voir son texte, originellement écrit en français, exister en sa langue, le shikomori. Les comédiennes racontent leur mère dans une langue que saisit aussitôt le spectateur, bien qu’elle soit viscéralement ancrée dans l’opacité du poème. On murmure des abyatwi shadhuli (chants soufis) à l’oreille de ce spectateur surpris, on lui lit le kursiu (texte coranique), on lui sert même le livre (shikurasa), comme pour l’inviter à y prendre part à son tour.

Cette petite forme va tourner lors des prochaines grandes vacances. Une douzaine de dates sur l’île de Ndzuani. On cite Ongoju et Domoni au passage, on pense jouer aussi à Sima et à Moya, sans oublier Mirontsy, bien sûr. Le théâtre est une forme d’ouverture au monde. Avec son étrangeté et ses moments d’émerveillement. Pour nombre de jeunes, il est aussi l’occasion de se découvrir. De lever le voile sur l’avenir qui leur tend la main au loin. Le théâtre est alors une manière de se chercher, de se trouver, de croire en des possibles. C’est du moins ce que Soeuf Elbadawi leur a tendu comme miroir à ses jeunes du Club Soirhani. Afin d’éveiller leur conscience.

Le soir de la générale, le 30 janvier. L’équipe au complet : l’auteur, le traducteur, les acteurs, l’équipe technique et leurs proches…

Le choix du texte s’est fait sans prévenir. Cette évocation d’une mère disparue est surtout la possibilité pour ces jeunes de marquer leur ancrage en une terre, les Comores, transie, certes, de souffrances, noyée dans des légendes interminables, mais dont l’esprit de lune soufflera sur chacun de leurs pas dans le monde à venir. Car peut-on exister sans son pays bien accroché dans sa tête ? Une bien belle question qui résume ce travail dont le titre en shikomori dit à peu près tout : Tahaba la mdzade

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